Le moulin de la vie
À onze ans, Martin Wernicke découvrit à Kyhna en Saxe, un très vieux moulin – et en tomba amoureux. Quatre ans plus tard, le propriétaire le lui offrit. Et il le restaura pendant 30 ans.
«J'ai 1000 mark sur mon compte et j'aimerais acheter votre moulin.» Tout commença avec cette phrase, se souvient Martin Wernicke en souriant. Il avait 15 ans à l'époque. À onze ans, il a fait le tour de la région de Kyhna en Saxe à vélo avec un ami. «C'est là que j'ai vu le moulin – et il m'a coupé le souffle», raconte Martin. Martin revint sur place. Le propriétaire, M. Dorn, un paysan, lui montra comment il fonctionnait. «C'était tout simplement fascinant», s'exclame Martin. «On tire sur une corde et le spectacle commence.» À l'époque, le moulin était déjà abandonné et la plupart des éléments ne fonctionnaient plus. Cela ne gâcha pas l'enthousiasme de Martin. Il repassa souvent, s'intéressa de plus en plus et prit son courage à deux mains. Mais M. Dorn ne voulait pas d'argent, seulement une promesse. «Tu peux avoir le moulin mais tu dois investir ton argent dans la restauration.»
Trois décennies plus tard, Martin est dans sa ferme. Face à lui, le moulin et sa technique simple mais efficace qui l'émerveillent toujours. Le vent fait tourner doucement les ailes du moulin, le bois des ailes grince, les derniers rayons de soleil se brisent sur les ailes du grand projet de Martin. Il a passé 30 ans à rénover le moulin de Kyhna, a appris pour l'occasion le métier de charpentier jusqu'au brevet de maîtrise. Aujourd'hui, il rénove et entretient d'autres moulins dans toute l'Allemagne. Et il habite avec sa famille près de l'œuvre de sa vie.
Au début, Martin se faisait surtout aider de son père pour les travaux sur le moulin. «Mais le week-end, tout le monde s'y mettait, tout le village», raconte Martin. «Nous avons commencé par le toit, puis nous nous sommes attaqués aux ailes.» C'était en 1990, il lui restait deux ans d'école. Ils montèrent un échafaudage et retirèrent les bardeaux et le carton bitumé. Martin fit ensuite le tour du moulin en courant pour récupérer les restes.
Le moulin à vent est présent sur ce terrain depuis 1825. «À l'origine, il se tenait sur un pivot unique», explique Martin. Après avoir subi de nombreux dégâts lors d'une tempête, Martin le déplaça de quelques mètres. Et transforma le moulin à pivot en moulin paltrock: «La statique des moulins à pivot pose problème par vents forts. Les moulins paltrock les supportent mieux. Ils peuvent tourner d'eux-même et éviter le vent.» Les monteurs de moulins procèdent souvent à ce genre de transformation, selon Martin. «On ne rompait donc pas avec la tradition.» Il a beaucoup appris en échangeant avec d'autres monteurs et restaurateurs de moulins. Les passionnés de moulins sont rares et se serrent les coudes. Ils partagent leur savoir et leurs outils. En 2019, selon les données du ministère de l'alimentation et de l'agriculture allemand, il ne restait que 190 moulins actifs dans toute l'Allemagne.
La transformation a nécessité dix mètres cubes de bois. Du carton bitumé, des bardeaux, 70 roues et deux fois 21 mètres de rail pour que le moulin puisse «avancer». À cela se sont ajoutés des échanges à n'en plus finir avec les autorités responsables des constructions et la protection du patrimoine culturel. «Heureusement, on m'a énormément soutenu. Pas seulement au niveau de la commune. Ma femme et ma famille m'ont accompagné activement», insiste Martin. «Et toute la communauté des moulins.»
Martin a ensuite fabriqué un soubassement. En bois d'épicéa robuste, le soubassement lui a permis de soutenir les parois intérieures comme dans une maison à colombage, sans avoir à modifier le bâtiment original. Martin renforça les poutres en bois avec des poutres en aciers pour que le moulin puisse ensuite être simplement soulevé et déplacé à l'aide d'une grue vers son nouvel emplacement.
«Le nouvel emplacement du moulin devait être bien préparé», témoigne Martin. Il a fallu commencer par dessiner le plan rond à l'aide d'un pied et d'un câble d'acier, 7,40 mètres de diamètre. On a pu ensuite se lancer. À l'aide d'une petite excavatrice, ils creusèrent le trou d'une profondeur de 1,20 mètres pour les fondations.
Puis ils passèrent au ciment et à la cage d'armature, une construction en acier, qui soutient les fondations (béton armé). Les rails et les roues, qui font bouger et qui portent les 30 tonnes du moulin devaient par la suite y être fixés. «Le maçon a construit la cage et s'est trompé dans l'un de ses calculs», se rappelle Martin «Nous ne connaissions rien à la maçonnerie et nous étions contents de pouvoir déléguer cette étape. Mais on n'a pas eu de chance.» Ça ne rentrait ni devant ni derrière. Martin a fini par le faire lui-même. Extraire la terre, nouveau coffrage, béton, barres d'armature, remettre la terre. La terre exerce une pression d'une tonne par mètre cube sur le béton. La construction en béton armé était terminée.
Le premier des deux rails de 21 mètres de longueur équipé de la crémaillère circulaire a été soudé sur la construction. Martin installa ensuite les roues et fixa le deuxième rail. Ils doivent résister au poids du moulin. «18 kilos par roue, ça ne devrait pas bouger», dit-il. Martin a eu de la chance, car les roues en fonte et les rails provenaient d'un ancien moulin qui ne servait plus. C'était en 2005, trois ans après le début du deuxième gros chantier de transformation. «Je n'imaginais alors pas qu'il faudrait encore 15 ans avant que les ailes et que tout le moulin puisse tourner en toute sécurité», raconte Martin.
La deuxième transformation
Puis, Martin, aidé d'une grue, déplaça le moulin vers son nouvel emplacement, habilla ensuite de nombreuses poutres, le nouvel étage formé avec le soubassement. Il aménagea l'intérieur du moulin, appliqua une lasure de protection du bois sur les poutres, ajouta d'autres bardeaux aux parois extérieures et un revêtement en tôle pour le côté exposé du moulin.
«C'est ainsi qu'est apparue la jupe, doucement, mais sûrement», explique Martin. Car c'est aussi la palissade qui en fait un moulin paltrock. Elle se termine là où se trouvait avant son pivot. Le bâtiment a gagné tellement de place à cet endroit avec la transformation qu'un nouvel étage a été créé. «Il a fallu le faire rapidement, car tant que le moulin n'était pas fermé correctement en bas, il réagissait comme un sac en plastique en pleine tempête. Le vent aurait pu le déchirer.» Une fois le moulin habillé, Martin passa à nouveau chaque étage en revue: certaines poutres de couverture et planchers étaient en piteux état et dix autres mètres cubes de bois ont dû être changés. C'est seulement à ce moment là qu'il a pu passer aux ailes.
«J'ai passé huit semaines sur une aile, car je devais aussi travailler à côté», se souvient Martin. Les ailes sont construites vertes, c'est-à-dire à partir de bois fraîchement coupé et non pas sec, ce qui leur permet ensuite de bouger correctement. Il avait tout d'abord choisi des mélèzes dans une forêt exploitée. Du mélèze car il s'agit d'un bois plutôt résistant aux intempéries mais aussi souple. Martin demanda à abattre les mélèzes et les fit couper en poutres. Il dessina les contours sur les poutres, puis les découpa avec une scie circulaire portative. Il travailla ensuite le bois, le cotret principal, avec la hache et les ciseaux de menuiserie jusqu'à ce qu'il ait une forme aérodynamique. Ce fut ensuite le tour des finitions. Avec les restes de coupe, il fraisa le fin pendant des ailes ou cotret postérieur, et les jonctions transversales, qu'on appelle les cotrets extérieurs. «Aucun des points d'assemblage de bois n'est collé», dit Martin. Car les assemblages par encoche présentent l'avantage de laisser bouger la construction sans qu'elle casse. Et elle en a besoin car le bois continue de travailler même une fois l'arbre abattu.
Martin a installé la première version des ailes en 2008, puis le projet fut mis en sommeil. D'autres étapes avaient la priorité.
La partie finale
En 2019 et 2020, Martin et sa famille ont eu à nouveau le temps de travailler ensemble sur leur moulin. Pour fonctionner correctement, il manquait des tôles métalliques aux ailes du moulin, sans quoi les ailes ne peuvent tourner de manière sûre. Comme il est préférable de monter les tôles directement sur des poutres dont le bois est encore frais, Martin retira à nouveau les anciennes ailes. Il les vendit. Et en fabriqua de nouvelles avec des tôles.
Martin dut en outre remplacer le pivot de la rose des vents qui est l'élément qui dirige le moulin selon le vent: «Traditionnellement, le pivot se pose sur la rose des vents et est aussi en bois», explique Martin. «Il dépasse du toit. Ici aussi, nous avons mis la priorité sur la durabilité et la sécurité statique.» Il a donc confié cette tâche à un spécialiste. Le jour de la livraison, le camion et la rose des vents étaient coincés dans les embouteillages. Martin et ses assistants ont attendu pendant des heures. Mais ils ne perdirent pas de temps et continuèrent les travaux sur le toit.
«J'ai eu de la chance car les pompiers volontaires sont venus nous donner un coup de main, à moi et au moulin», raconte Martin. Ils retirèrent ensemble en catastrophe l'ancien toit à l'aide de haches, installèrent le nouveau coffrage et l'habillèrent de bardeaux d'asphalte et de tôle par endroit. Ils avancèrent bien. Mais ce jour-là, le ciel se couvrit de plus en plus, les premières gouttes de pluie tombèrent et le camion était encore loin. «Son chargement contenait tout ce qui pouvait encore nous manquer. Toute le mécanisme de la rose des vents», se souvient Martin en se prenant la tête dans les mains. Alors que toute la famille et les bénévoles perdaient espoir, le camion arriva. Tout s'arrangea dans et autour du moulin et le dernier trou tout autour de la rose des vents sur le toit se referma.
Le moulin était enfin terminé. Et la pluie disparut comme par miracle. Ils étaient tous là, trempés de la tête aux pieds et admiraient le ciel bleu. Tous attendaient le moment où les nouvelles ailes allaient tourner pour la première fois. Mais Martin et ses amis durent encore patienter: il fallut attendre quatre semaines pour que le vent souffle enfin suffisamment fort. Martin tira sur la corde et le spectacle commença. Et les prochains travaux sont déjà en projet: Martin et sa femme veulent transformer l'énergie éolienne en électricité et ainsi l'injecter dans leur ferme.
Plus d'infos sur le moulin...
... et sur les autres projets de Martin sont à retrouver ici.
Crédit: Texte: Lilith Grull | Photos et vidéos: Martin Wernicke